VICHY (GOUVERNEMENT DE)

VICHY (GOUVERNEMENT DE)
VICHY (GOUVERNEMENT DE)

Après le désastre militaire et la signature de la convention d’armistice, le 22 juin 1940, le gouvernement du maréchal Pétain, qui s’est installé à Vichy, en zone libre, se fait accorder les pleins pouvoirs par les Chambres, le 10 juillet 1940: ce vote, acquis dans une atmosphère de coup d’État par 569 voix contre 80 et 17 abstentions, consacre la chute de la IIIe République. Les actes constitutionnels du 11 juillet 1940 fondent l’État français, dictature établie au profit de Pétain, qui prend le titre de chef de l’État. Pour l’équipe au pouvoir, la défaite est l’occasion de procéder à une réorganisation d’ensemble de la société française: la Révolution nationale se dit profondément française, notamment par ses sources idéologiques (Joseph de Maistre, René de La Tour du Pin, mais aussi Pierre Joseph Proudhon) et par ses références historiques (la France des grands rois), mais elle se situe elle-même dans le champ de ce qu’elle appelle les «révolutions contemporaines», fascisme, national-socialisme, franquisme. Dans le même temps, une orientation nouvelle est donnée à la politique extérieure: la rupture diplomatique avec l’Angleterre et les avances faites à l’Allemagne par Pierre Laval dès juillet 1940 amorcent la politique de collaboration, que la rencontre de Montoire (24 octobre 1940), entre Hitler et Pétain, lance spectaculairement. Vichy dépasse ainsi très vite le cadre de la stricte application de l’armistice, pour se placer dans le sillage de l’«Europe nouvelle» voulue par les nazis. Dès sa fondation, le régime procède à des choix qui le mènent à une fascisation de plus en plus accentuée et font de lui un satellite toujours plus dépendant du vainqueur.

La révolution nationale

Sous la devise «Travail, Famille, Patrie», prend forme en quelques mois un système autoritaire et hiérarchique, qui se veut national et social.

Qui gouverne à Vichy?

Le plus souvent en provenance de l’extrême droite, et surtout de l’Action française, l’équipe qui entoure Philippe Pétain est composée de militaires, de «techniciens» souvent issus de la haute administration, d’ex-syndicalistes planistes. Plus généralement, les notables et les possédants proches de l’Action française ou du Parti social français du colonel de La Rocque fournissent la plupart des cadres du régime. Celui-ci, assuré du soutien total de l’Église, recherche ses assises sociales dans la paysannerie et dans les couches moyennes artisanales et commerciales, exaltées par la propagande comme détentrices des seules valeurs authentiques. Mais la réalité du pouvoir n’est-elle pas ailleurs? Phénomène nouveau en France, dans les gouvernements de Vichy figurent à des postes clés comme l’Économie nationale, les Finances, la Production industrielle, voire l’Intérieur, des représentants des plus importants milieux d’affaires (Yves Bouthillier, Jacques Barnaud, Pierre Pucheu, François Lehideux, Jean Bichelonne), qui, en l’absence de tout système représentatif, pèsent de tout leur poids sur les destinées du pays.

La réorganisation corporatiste

Tout en vitupérant le socialisme et le capitalisme et en annonçant un ordre nouveau corporatiste, Vichy, à l’instar des régimes fascistes, prend des mesures qui consolident la prépondérance des plus grandes firmes capitalistes, démantèlent le mouvement ouvrier, livrent les salariés à leurs employeurs. Les Comités d’organisation (loi du 16 août 1940) placent chaque branche industrielle ou commerçante sous la direction des plus importantes entreprises et structurent fortement le patronat, ce qui ôte toute portée à la dissolution de ses syndicats. Les syndicats ouvriers dissous, la grève interdite, la Charte du travail (4 octobre 1941) crée un syndicalisme officiel, obligatoire, sans activité revendicatrice, et organise la collaboration des classes par des comités sociaux dont le rôle, très limité, exclut toute immixtion dans la gestion de l’entreprise. Les salariés, dans leur masse, refusèrent cette intégration du syndicalisme dans l’État et reconstituèrent un syndicalisme de classe, ce qui conduisit à la réunification clandestine de la Confédération générale du travail (C.G.T.) en 1943.

La mise au pas du pays

La propagande officielle, massive, diffuse une idéologie imprégnée de cléricalisme où l’on retrouve les thèmes essentiels du fascisme et où le nationalisme de source maurrassienne se présente sous une forme intransigeante et radicale. La Légion française des combattants (30 août 1940), fer de lance de la Révolution nationale, doit encadrer et surveiller les Français: ses activistes se retrouvent, fin 1941, dans le Service d’ordre légionnaire (S.O.L.), formation paramilitaire et esquisse de parti unique. Des catégories entières de Français sont exclues de la communauté nationale, en vertu de leur appartenance politique (communistes), idéologique (francs-maçons), raciale (juifs), et font l’objet d’une législation appropriée (Statut des juifs en octobre 1940) et de mesures policières (rafles de l’automne 1940 contre les communistes et les syndicalistes). La liquidation de l’acquis démocratique se traduit notamment par la suppression des Conseils généraux (octobre 1940), la dissolution de nombreuses municipalités, l’extension du pouvoir des préfets, l’utilisation systématique de l’internement administratif, la création de juridictions spéciales: Cour suprême de justice (30 juillet 1940), pour juger les responsables de la IIIe République, «sections spéciales» auprès des tribunaux militaires et des cours d’appel pour réprimer les activités communistes et anarchistes (23 août 1941). Tandis que la France se couvre de camps d’internement (Saint-Sulpice-la-Pointe, dans le Tarn; Saint-Paul-d’Eyjeaux, dans la Haute-Vienne; Gurs, dans les Pyrénées-Atlantiques...), les prisons sont surpeuplées et de lourdes condamnations, parfois à mort, sont prononcées contre les opposants. Le régime, enfin, s’efforce d’embrigader la jeunesse, tant par la liquidation de la législation scolaire républicaine (suppression des Écoles normales) que par l’encouragement aux mouvements de jeunesse maréchalistes (Compagnons de France, Jeunes du Maréchal) et par l’organisation des Chantiers de la jeunesse (30 juillet 1940).

L’État français: une forme d’État fasciste?

Le gouvernement de Vichy liquide la plupart des institutions héritées du libéralisme classique. Sous couvert de révolution, il procède à la mise en place d’un système totalitaire qui enserre étroitement l’individu dans les communautés familiale, locale, professionnelle, nationale, prétend réformer les institutions et les mœurs, et se propose d’éliminer les «parasites sociaux» (marxistes ou juifs). Il perpétue en même temps, en renforçant les plus puissants possédants, le système économique et social existant: malgré les affirmations de sa propagande, aucune transformation structurelle n’est, à ce niveau, entreprise. Par ces caractéristiques, l’État français ne peut être assimilé uniquement à un classique régime réactionnaire d’ordre moral: ses bases sociales, son idéologie, ses manifestations répressives, sa politique économique et sociale sont comparables à celles des États fascistes voisins.

Vichy et les Allemands

Dans l’Europe dominée par Hitler, la France est le seul vaincu dont les rapports avec le vainqueur sont définis par un armistice conclu avec le gouvernement légal. Les Allemands n’ont pas imposé le changement du régime, ils sont restés étrangers à la Révolution nationale et aux crises internes du vichysme: en décembre 1940, le renvoi de Laval les inquiéta, mais ils n’exigèrent pas son retour; son rappel en avril 1942 se fit sans leur intervention. Cependant, l’indépendance de Vichy est extrêmement limitée.

La dépendance de Vichy

Le maintien d’un gouvernement en France et d’une zone non occupée est le résultat d’une décision politique de Hitler, prise avant l’armistice, et destinée à éviter toute dissidence de l’empire et de la flotte, à ne pas heurter de front les Français, afin de permettre l’exploitation économique la plus fructueuse du pays: l’existence du gouvernement de Vichy n’est acceptée que parce qu’elle sert les desseins des Allemands. Les nazis disposent d’ailleurs de moyens de pression considérables sur Vichy: la ligne de démarcation entre les deux zones peut se transformer en frontière hermétique, la zone occupée échappe en fait à l’autorité de Vichy, l’application des conditions d’armistice se fait au gré du vainqueur (fixation d’énormes frais d’occupation, création d’une zone interdite, annexion de l’Alsace-Lorraine); les Allemands peuvent également utiliser les extrémistes de la collaboration parisienne (Rassemblement national populaire, ou R.N.P., de Marcel Déat ; Parti populaire français, ou P.P.F., de Jacques Doriot).

Les interventions directes en zone libre existent aussi: l’ingérence dans la production par le biais des commissions de contrôle de l’armistice, l’accord au moins tacite pour la nomination des hauts fonctionnaires, l’interruption du procès de Riom sur l’injonction de Hitler en sont quelques exemples. Après l’invasion de la zone libre (11 novembre 1942), consécutive au débarquement allié en Afrique du Nord, la satellisation s’accroît, en fonction des difficultés grandissantes que rencontrent les nazis pour poursuivre la guerre et le pillage des pays occupés. À la fin de 1943, un conseiller allemand assiste désormais Pétain et, au début de 1944, les remaniements ministériels sont décidés par les nazis; ainsi entrent dans le gouvernement les collaborateurs les plus virulents (Philippe Henriot, Joseph Darnand, Marcel Déat). Dès lors, Vichy n’a plus la moindre indépendance.

La collaboration, une initiative vichyste

En se plaçant dans la perspective d’une Europe allemande, Vichy s’engage dans la voie de la collaboration avec l’Allemagne nazie. Ce choix correspond en premier lieu à la sauvegarde des grands intérêts privés, qui s’efforcent de préserver, face aux exigences de l’impérialisme allemand, le maximum de positions acquises et de retrouver des marchés assurant les profits, fût-ce en servant la machine de guerre allemande: la collaboration économique sert de base à la collaboration politique, que recherche le gouvernement Darlan (février 1941-avril 1942) autant que les gouvernements Laval (juillet-décembre 1940, puis avril 1942-août 1944) et qui se nourrit de l’espoir que la France de Vichy sera à la seconde place dans l’Europe nouvelle; l’agression contre l’U.R.S.S. donne à la collaboration la motivation supplémentaire de la lutte contre le bolchevisme. Cette attitude d’ensemble n’exclut pas la discussion de certaines exigences nazies, que ce soit à la commission d’armistice de Wiesbaden ou au niveau gouvernemental.

Les formes de la collaboration

Les Allemands ne sont intéressés que par le pillage des richesses du pays et par le maintien de l’ordre. La collaboration économique leur facilite les choses, Vichy acceptant, entre autres, des prétendus accords de clearing , catastrophiques pour les finances nationales, et autorisant, par exemple, des fabrications de guerre pour l’Allemagne en zone libre. En revanche, les nazis se désintéressent, sauf intérêt militaire immédiat, des projets du gouvernement ou de certains dirigeants, qui, cependant, vont parfois très loin dans l’engagement politique, comme l’attestent les projets de reconquête du Tchad (hiver 1940), les protocoles de Paris (mai 1941), la guerre de Syrie (juin 1941), les négociations entre Jacques Benoist-Méchin et Otto Abetz (janvier 1942). La Légion des volontaires français (juillet 1941), approuvée par Pétain, constitue la participation française à la lutte contre le bolchevisme.

La collaboration existe également dans la lutte contre les opposants: les juridictions d’exception contre les «terroristes» (août 1941) s’accompagnent de la participation du ministre de l’Intérieur à l’établissement des listes d’otages; l’administration française désigne les commissaires chargés en zone nord de la spoliation des biens juifs; les prisons et les camps vichyssois sont les pourvoyeurs des camps nazis: d’ailleurs, la police française participe à l’arrestation des suspects et procède à de grandes rafles de juifs. Plus tard, des opérations combinées sont entreprises contre les maquis avec les Groupes mobiles de réserves (G.M.R.), la Milice, la Wehrmacht, la S.S. Enfin, la collaboration conduit à la déportation des travailleurs français dans les usines du Reich, organisée par Vichy avec le Service du travail obligatoire (S.T.O., loi du 16 février 1943), qui s’accompagne de la mobilisation de toutes les polices contre les réfractaires.

En vertu même des objectifs et des méthodes nazis, la collaboration ne pouvait conduire qu’à un asservissement économique et politique toujours plus accentué. Avec la progression de la connaissance du régime de Vichy, la thèse selon laquelle il aurait servi de bouclier aux Français apparaît maintenant insoutenable.

La fin du régime

Exprimée d’abord exclusivement par les communistes, les gaullistes de la première heure ou des isolés, l’opposition à Vichy croît avec l’aggravation des conditions de vie; le développement de la résistance aux Allemands prend un caractère de masse quand est créé le S.T.O., gagne les classes moyennes et la paysannerie, soumises aux tracasseries administratives et aux réquisitions. De ce fait, et avec la satellisation accrue, la fascisation du régime s’accélère: fondée en janvier 1943, la Milice de Darnand se livre à d’abominables exactions; Darnand lui-même, membre de la Waffen-S.S. depuis 1942, devient secrétaire d’État à l’Intérieur (février 1944); les cours martiales (janvier 1944) permettent l’exécution immédiate des résistants. En 1944, l’autorité du gouvernement de Vichy est de plus en plus réduite. La certitude de la défaite hitlérienne, l’existence à Alger du Comité français de libération nationale, dont la souveraineté s’étend sur toute l’Afrique française et est reconnue par l’ensemble de la résistance intérieure rassemblée dans le Conseil national de la résistance, précipitent l’abandon du régime par les classes dirigeantes. Depuis 1943, de nombreux hauts fonctionnaires ont rejoint Alger. En France même, des régions entières contrôlées par les maquis, échappent à Vichy, dont les ordres sont sabotés par des milliers de fonctionnaires résistants.

Après le débarquement du 6 juin 1944, l’effondrement est total. L’insurrection nationale voue à l’échec complet d’ultimes manœuvres de sauvetage (mission de l’amiral Auphan à Paris, contacts Laval-Herriot, en août 1944) jouant sur les tensions internes de la Résistance. Le gouvernement de Vichy doit suivre les Allemands dans leur retraite. Installée à Sigmaringen, où Pétain et Laval ne veulent pas gouverner, l’équipe vichyssoise se déchire dans les intrigues et les rivalités, avant sa dispersion lors de la phase finale de l’écrasement du IIIe Reich.

Devenu un État fantôme, l’État français, dont le sort était lié à celui des nazis, avait cependant été investi, au départ, d’une autorité réelle, dont il se servit pour tenter d’imposer au pays un régime s’intégrant dans l’Europe du fascisme: sans doute est-ce là, avec l’oppression nationale, l’élément déterminant du refus des Français qui, dupés en grand nombre en 1940 par la personnalité de Pétain, se joignirent progressivement aux plus clairvoyants de leurs compatriotes. Aussi bien, Vichy n’avait pas le choix: ou il subsistait au prix d’une fuite en avant dans la collaboration, ou il disparaissait, car, dans le système mis en place par les nazis, il n’y avait pas d’autre possibilité que la soumission aux volontés du vainqueur. Mais, par ailleurs, la tutelle allemande n’était-elle pas l’assurance du maintien de l’ordre social existant?

Encyclopédie Universelle. 2012.

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